News
Vie personnelle-vie privée du salarié : distinction de la Cour de cassation
Dans un arrêt de principe du 25 septembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a apporté d’importantes précisions sur la différence existante entre vie personnelle du salarié et intimité de sa vie privée.
Rappel du cadre général en matière de droit à la vie personnelle du salarié et droit au respect de sa vie privée
Au temps et au lieu de travail, et a fortiori en-dehors, tout salarié a droit au respect de spa vie personnelle, ainsi, surtout, qu’au respect de l’inimité de sa vie privée.
La notion de vie personnelle doit être distinguée de celle de vie privée. Le terme de vie privée désigne une liberté publique, devant être réservé à la protection du domicile, de la correspondance et de la vie sentimentale, c’est-à-dire à l’intimité de la vie privée.
Le droit au respect de la vie privée constitue bien une liberté fondamentale, cette liberté se rattachant à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mais tous les aspects de la vie personnelle ne se rattachent pas à l’intimité de sa vie privée et donc, par voie de conséquence, ne constituent pas une liberté fondamentale (par exemple, le droit de se vêtir à sa guise n’est pas considéré comme une liberté fondamentale).
La distinction est importante sur le plan juridique : l’atteinte à une liberté fondamentale engendre la nullité du licenciement alors que l’atteinte à une liberté «de rang inférieur» engendre un licenciement sans cause réelle et sérieuse (concrètement, les indemnités dues sont moindres et le salarié n’a pas de droit à réintégration).
Les faits du litige
Un conducteur de bus de la RATP, se trouvant après la fin de son service, dans son véhicule personnel sur la voie publique, a fait l’objet d’un contrôle de police ayant révélé la détention d’un sachet de cannabis et donné lieu à un test salivaire qui s’était avéré positif à la prise de cannabis (le test sanguin ensuite pratiqué s’était révélé négatif, invalidant le test salivaire).
Lors du contrôle, le salarié a tenu des propos irrespectueux envers les agents de police et, son identité ayant été exigée, a précisé qu’il travaillait à la RATP. Le rapport de la police a été transmis à la RATP.
Le salarié a été licencié pour faute grave pour «propos et comportement portant gravement atteinte à l'image de l'entreprise et incompatibles avec l'obligation de sécurité de résultat de la RATP tant à l'égard de ses salariés que des voyageurs qu'elle transporte».
Il a alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande de nullité de son licenciement.
La position de la Cour d’appel
La Cour d’appel a donné gain de cause au salarié et a prononcé la nullité du licenciement. Les juges du fond ont, en conséquence, ordonné la réintégration du salarié dans l’entreprise et condamné celle-ci au paiement d’une indemnité correspondant aux salaires qu'il aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à sa réintégration effective.
Outre le fait que le manquement n’ait pas donné lieu à des suites pénales, les juges ont considéré que les faits s’étaient produits hors de la sphère professionnelle, qu’ils ne pouvaient pas être rattachés à la vie professionnelle et donc ne pouvaient pas justifier une sanction disciplinaire, et que l’entreprise avait porté une atteinte au droit fondamental du salarié au respect de sa vie privée.
Mais la RATP a formé un pourvoi en cassation.
La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation , si elle n’a pas invalidé le licenciement, a en revanche censuré la Cour d’appel concernant sa nullité. La Cour de cassation a considéré que le licenciement était seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse et que le salarié ne pouvait prétendre à sa réintégration.
La Haute Juridiction a relevé que les faits reprochés au salarié s’étaient produits hors de la sphère professionnelle et qu’en conséquence, il s’agissait bien d’un licenciement fondé sur la vie personnelle du salarié.
En revanche, elle a considéré que ces faits ne relevaient pas de la sphère d’intimité de la vie privée du salarié. Par conséquent, le licenciement ne pouvait pas être jugé nul en l'absence de violation d'une liberté fondamentale, mais seulement analysé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’analyse de la FNTR
Les juridictions analysent à présent dans les détails les notions de vie privée, vie personnelle, et même intimité de la vie privée. Il n’est pas certain que ces approches soient parlantes pour le grand public, mais aussi pour les entreprises et les salariés. Elles conduiront à des solutions d’espèces, les situations étant appréhendées au cas par cas, sans forcément de ligne directrice très claire, ce qui peut générer une insécurité juridique.
Au regard du comportement du salarié, on ne peut que considérer que le licenciement ne pouvait pas être jugé attentatoire à la liberté fondamentale, sauf à dénaturer la notion qui ne peut être invoquée à torts et à travers, en particulier lorsque la possession de produits stupéfiants est avérée (sachant que les postes de conduite sont des postes à risques).
En revanche, il est permis de déplorer l’analyse selon laquelle la détention de produits stupéfiants, même hors du temps du travail, ne constitue pas en soi un manquement à l’obligation de loyauté du contrat de travail, lorsque l’activité du salarié s’exerce sur des postes sensibles qui impliquent une probité et une exemplarité particulières pour des raisons tenant notamment à la sécurité des personnes et des biens.
Il importe de donner les moyens aux entreprises d’user de tout l’arsenal juridique leur permettant d’assurer leurs prestations dans des conditions de sécurité maximales.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.