Personne ne lit

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Personne ne lit

Il existe une histoire célèbre dans le monde judiciaire. Un juge avait la réputation de rendre tous ses jugements sans avoir jamais pris la peine de lire les conclusions de l’une ou l’autre des parties à un procès. Un avocat facétieux inséra un jour dans son argumentaire écrit une phrase qui disait à peu près ceci : « Attendu que toutes façons, quels que soient les arguments développés, le juge X ne lira pas les présentes conclusions pour établir sa décision. »

Et c’est ce qui se passa. Le juge ne pouvait pas s’offusquer de la blague car effectivement, il ne lisait pas.

Ce constat se fait à peu près partout. C’est fou le nombre de personnes qui vous demandent si on a écrit sur tel sujet, fait telle note ou même si on est courant d’une nouvelle réglementation, alors que tout a été envoyé, mis en ligne, et publié à son heure.

Il parait qu’avec le développement des réseaux sociaux, on perd l’habitude ou même l’appétence pour lire des textes un peu longs ou des développements un peu structurés.
Malheureusement, dans un monde où la loi vous rend responsable de tout ce qui arrive sous peine d’amende ou de sanctions pénales, cela peut s’avérer fâcheux.

La réglementation du travail foisonne de ce genre d’approches. Les entreprises sont tenues, par exemple, de faire des « protocoles de sécurité » ou des « documents uniques de prévention des risques ». A défaut elles sont en tort, et pire en cas d’accident, elles peuvent être poursuivies pour faute inexcusable.

Soyons clairs : l’objectif est tout à fait légitime et même indispensable car il y a beaucoup trop aujourd’hui d’accidents du travail, parfois très sérieux.

Mais d’obligation réglementaire en obligation réglementaire, on exige la présentation de tonnes et de tonnes de pages démontrant qu’on a pris les bonnes injonctions et les mesures adéquates. Dans une logique d’économies, ces documents sont de plus en plus dématérialisés.

Ainsi on se couvre, on oppose des « parapluies de papier », pour se couvrir en cas de problème. Avec peut-être la même inefficacité.

La difficulté c’est que tout est devenu si illisible que de moins en moins de gens les lisent, et on passe totalement à côté de l’objectif poursuivi.

Cela fait un peu penser à la situation où on vous demande de mettre à jour votre smartphone (en général quand ce n’est pas le bon moment) et que pour y parvenir, vous devez accepter des centaines de lignes de conditions générales écrites en tout petit. Faisons un pari : l’immense majorité des utilisateurs cliquent sur « Accepter » sans même avoir consulté le premier mot.

Il serait sans doute judicieux de revoir toutes ces modalités sans remettre en cause l’objectif poursuivi. Il y a certainement des moyens plus synthétiques et plus efficaces pour donner l’information et aller dans le sens de plus de sécurité.

Seulement, quand vous osez aborder le sujet, vous êtes rapidement suspecté de privilégier la simplicité au détriment de la sécurité. Ce qui est parfaitement faux. Mais les raccourcis sont faciles. Et la discussion se termine aussi rapidement qu’elle a commencé.

Finalement, non seulement personne ne lit, mais en plus personne n’écoute.

Florence Berthelot

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