La route du camion électrique est encore longue
Le transport routier reste accro au gazole. Le camion électrique commence à séduire certains transporteurs. Mais à 300 000 € pièce, il coûte trois fois plus cher qu’un diesel.
Les camions représentent à eux seuls 7,5 % des émissions de CO2 de la France, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne. Plus embêtant, alors que les émissions globales du pays sont en baisse depuis 2017, celles des camions sont en hausse (26,6 millions de tonnes de CO2 en 1990, 27,9 en 2023).
À la Fédération nationale du transport routier (FNTR), principale organisation patronale du secteur, on relativise : « certes il y a une hausse des émissions de CO2, mais dans le même temps, le nombre de camions est passé de 550 000 à 621 000 et la quantité de marchandises transportées a augmenté de 65 %, indique Erwan Célérier, responsables des affaires techniques, de l’environnement et de l’innovation. À la tonne transportée par kilomètre, le CO2 émis par les camions a donc baissé de 36 %. Quant aux émissions de polluants atmosphériques, les améliorations techniques des camions les ont réduites de 80 à 97 % selon les particules. »
Il ajoute que le transport routier, qui assure presque 90 % du transport terrestre de marchandises, est en quelque sorte victime de son succès « alors que la part du ferroviaire, qui devait doubler, ne cesse de baisser et ne dépasse pas 8 % ».
Un frémissement dans les ventes
Reste que pour l’ONG Transport & Environment, réputée pour ses travaux sur la décarbonation du transport dans l’Union européenne, « la solution c’est le camion électrique », affirme Marie Chéron, experte automobiles et transport de marchandises au sein de l’ONG. Et pas les carburants comme le B100 ou le HVO (à base d’huiles végétales ou recyclées) ou le biogaz. Trois carburants alternatifs qui ont les faveurs des transporteurs car ils sont adaptés aux moteurs diesel. Mais qui sont remis en question, non seulement par T & E mais aussi par la Cour des comptes européenne, en raison de leur bilan environnemental controversé.
Quant au camion à pile à hydrogène, un temps pressenti pour les longues distances, il reste quatre fois plus cher qu’un modèle diesel, tandis que le réseau de distribution d’hydrogène est inexistant.
Mais la route de la décarbonation des camions est longue : on ne compte que 20 300 poids lourds « zéro émission » sur les routes de l’Union. Une goutte d’eau dans l’océan des 6 millions de camions qui carburent au gazole. Chacun d’entre eux brûle 450 000 litres de carburant fossile durant sa durée d’exploitation, l’équivalent de la consommation de trente voitures.
Il y a pourtant un frémissement dans les immatriculations de camions électriques : en 2024 à l’échelle européenne, on en a compté 3 300 contre 258 000 fonctionnant au carburant fossile. Et en France, 671. C’est peu, face aux 38 000 nouveaux diesels immatriculés, mais mieux que les 500 de l’année précédente. Cela porte à un peu plus de 1 000 le nombre de poids lourds à batteries roulant dans l’Hexagone, alors que d’après le secrétariat général à la planification écologique, un des services du gouvernement chargé de fixer une feuille de route environnementale, on devrait en compter 80 000 en 2030.
« Passer à la vitesse supérieure »
Selon Marie Chéron, « le camion électrique a commencé à décoller, il faut qu’il passe à la vitesse supérieure ». Le paradoxe, déplore-t-elle, « c’est que les constructeurs de poids lourds sont tenus, comme les constructeurs de voitures, de vendre de plus en plus de véhicules électriques, car l’Union européenne les oblige à réduire par paliers les émissions de CO2 émises par les véhicules qu’ils commercialisent. Mais il n’existe aucune contrainte sur les chargeurs pas plus que sur les transporteurs ».
Les constructeurs assurent que d’ici à cinq ans, ils seront capables de produire un camion sur deux en électrique, comme les y oblige la réglementation. Mais comment faire en sorte qu’ils trouvent preneurs alors que ces véhicules, à 300 000 € la bête, coûtent trois fois plus cher qu’un camion diesel et qu’il faut encore rajouter le coût des bornes de recharge dans les dépôts des entreprises de transport ?
« Le surcoût de l’électrification sur la feuille de route élaborée par la profession et les services de l’État est estimé entre 50 et 79 milliards d’euros entre 2022 et 2040, précise Erwan Célérier. C’est un mur d’investissement. Or les capacités de financement des entreprises de transport sont limitées. Une récente étude de la Banque de France indique que 40 % d’entre elles sont déficitaires aujourd’hui ». Autant de raisons qui amènent la FNTR à plancher sur de nouvelles modalités de financement, encore confidentielles.
Alourdir la fiscalité du diesel et subventionner l’électrique ?
Selon T & E, le surcoût d’un camion électrique sur un modèle à gazole est de 5 400 et 6 500 € par an, selon la taille et le type de trajets réalisés. Pour le réduire, T & E a élaboré un panel de mesures. L’ONG les présentera au salon international du transport et de la logistique qui se tient du 1er au 3 avril à Paris.
L’ONG propose notamment d’exonérer les modèles électriques d’Eurovignette tout en alourdissant celle des diesels, d’obliger les chargeurs à payer une contribution sur les transports par camion diesel, afin de financer des aides à l’achat de camions électriques.
Plus fort, l’ONG recommande de supprimer à la fois l’avantage fiscal dont bénéficie le biodiesel et le remboursement de taxe sur le gazole dont bénéficient les transporteurs. Pas sûr qu’en cette période de lutte acharnée contre l’inflation, ces propositions fassent un tabac.
Le problème du raccordement des bornes
Même si le camion électrique progresse lentement, il a ses pionniers. Parmi eux, Jean-Yves Gautier, PDG de Gautier Fret Solutions, entreprise familiale basée à Noyal-sur-Vilaine (Ille-et-Vilaine). Elle emploie 510 collaborateurs et exploite 400 véhicules. « Nous avons acquis le premier camion électrique en 2021. Nous en possédons dix aujourd’hui et j’ai le projet d’en acheter 60 de plus ».
Le chef d’entreprise précise que l’activité de ses camions, principalement locale et régionale, avec des tournées quotidiennes excédant rarement 200 km, « est compatible avec l’autonomie des véhicules, actuellement de 260 à 300 km. » Les camions peuvent donc se recharger sur des bornes lentes, en 8 heures, la nuit. « Encore faut-il avoir les bornes. Aujourd’hui, la durée de raccordement par Enedis est d’un à deux ans, parfois plus ». Le plan de GFS prévoit d’équiper huit dépôts. « À raison de 300 000 € par camions et autant, voire plus, par dépôt, c’est tout un écosystème à mettre en place. »
Une politique de soutien qui change chaque année
Or, ces camions électriques, il faudra les faire tourner plus longtemps car ils ne trouveront sans doute pas la même clientèle en occasion que les modèles diesel, que les entreprises françaises revendent généralement en Europe de l’est et en Afrique. « L’investissement doit être mûrement réfléchi. Mais jusqu’à présent, la forme des aides allouées par l’État a changé chaque année. Cela ne simplifie pas la prise de décision… », déplore Jean-Yves Gautier.
Ce dernier se révèle pourtant convaincu qu’au moins pour la desserte locale et régionale, l’électricité est une bonne solution. « Les biodiesels comme le B100 et le HVO trouveront tôt ou tard leur limite pour le transport routier en raison de la demande de l’aviation et de la marine marchande. »
Dans le même temps, certaines enseignes dans la grande distribution, le bricolage, commencent à demander un approvisionnement par camions électriques. « Alors, il faut y aller… » Mais Jean-Yves Gautier précise que le contexte est tout différent pour les longues distances ainsi que les régions où le climat très chaud ou très froid dégrade l’autonomie des batteries.
« On roulera encore au gazole dans 30 ou 40 ans »
François Baudoin, directeur des Transports Couvert et Muret, à Saint-Armel (Ille-et-Vilaine) et président de la FNTR en Bretagne, estime que le progrès encore lent du camion électrique découle surtout du fait que « la plupart des chargeurs refusent encore d’assumer le surcoût généré par l’achat des camions et l’investissement dans les bornes de recharge ». La mise en place, depuis le 1er janvier, d’une nouvelle forme d’aide versée aux transporteurs pour leurs investissements dans l’électrique, sous forme de certification d’économie d’énergie (CEE), financé non pas par l’État, mais par les fournisseurs d’énergie fossile, n’aidera, selon lui, « qu’à la marge ».
François Baudoin estime que le camion électrique « est une solution, mais parmi d’autres ». Installer des bornes de recharge sur toutes les autoroutes d’Europe, est selon lui « impensable. Il faut éviter de s’emballer. On l’a vu pour les véhicules au gaz : on a créé un réseau de distribution en Bretagne. Mais avec la flambée des prix causée par la guerre en Ukraine, ces camions reviennent trop cher et le réseau est aujourd’hui en difficulté ». Pour François Baudoin, l’avenir est à « plusieurs solutions. Dont l’électrique, mais aussi le B100 et le gazole, qu’on utilisera encore dans 30 ou 40 ans. L’important, c’est de faire progresser le mix ».