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Précisions de la Cour d’appel de Bordeaux en matière d’obligation de sécurité de l’employeur
Dans un arrêt du 6 décembre 2023, la Cour d’appel traite d’un contentieux qui aborde des questions majeures en matière de santé-sécurité en matière de transports routiers. La FNTR fait le point.
1/ Les circonstances du litige
Une salariée, embauchée en qualité de conductrice de poids lourds, a été victime d’un accident du travail ayant conduit à son inaptitude. Un transpalette électrique lui a écrasé le pied.
La salariée a contesté la cause réelle et sérieuse de son licenciement pour inaptitude et a eu gain de cause.
Elle a relevé plusieurs points :
- même si aucune formation obligatoire de type CACES n’est imposée pour un transpalette électrique, l’employeur aurait dû y recourir eu égard à ses fonctions ;
- le jour de l’accident, la salariée avait été contrainte de décharger 16 tonnes de marchandises alors qu'il appartenait au destinataire des marchandises, dont le poids était supérieur а 3 tonnes, d'opérer le déchargement ;
- enfin, aucun protocole de sécurité n’avait été établi.
L’employeur estimait quant à lui avoir fourni un manuel du conducteur indiquant les démarches à suivre et rappelant le principe de vigilance auquel tout personnel de conduite doit avoir à l’esprit lors de l’embauche, et ajoutait que la salariée, expérimentée, aurait dû refuser de procéder au déchargement litigieux.
Enfin, il considérait qu’en l’absence de formation obligatoire relative au transpalette électrique en matière de CACES, il ne pouvait pas lui être reproché de n’avoir pas mis en place une formation spécifique.
2/ La solution de la Cour d’appel
Les juges du fond ont estimé que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité et fait droit aux demandes de la salariée sur ce point.
Ils ont commencé, pour ce faire, par rappeler les dispositions du Code du travail en matière d’obligation de sécurité de l’employeur.
Ils ont ensuite énoncé les obligations de la salariée résultant de son contrat de travail : il lui était demandé de conduire les camions et convoyer les marchandises et de charger et décharger les marchandises.
Les juges ont noté que, parmi les obligations professionnelles qui y sont listées, figurait notamment le fait de se conformer aux directives et instructions de travail émanant de la direction ou de son représentant.
Enfin, la Cour d’appel a relevé que l’entreprise produisait un document interne dénommé «manuel du conducteur» remis à chaque salarié lors de l’embauche.
La Cour d’appel s’est ensuite focalisée sur les termes du manuel du conducteur. Elle a ainsi constaté qu’une partie de ce document était relative à la conduite à tenir chez les clients.
Ce document mentionnait notamment l’obligation faite aux salariés de se conformer aux protocoles de sécurité des différents sites visités, protocoles qui détaillent les opérations de chargement ou de déchargement effectués dans l'enceinte de l’entreprise.
Les magistrats ont relevé que le 8e paragraphe du manuel concernait le chargement et le déchargement et mentionnait le fait que les opérations de chargement ou déchargement soient parois réalisées par le chauffeur dans des conditions de sécurité précaires, donnant lieu à de nombreux accidents.
Après avoir procédé à ces rappels et constats, les juges ont établi une analyse factuelle de la situation :
- la salariée, le jour de l’accident portait bien ses EPI (chaussures de sécurité) ;
- les termes du manuel du conducteur ne faisait pas référence à une quelconque possibilité, pour la salariée, de refuser l’opération de déchargement ;
- le protocole de sécurité n’a pas pu être produit pas un protagoniste ;
- il a été établi par les pièces versées au dossier que l’accident du transpalette était dû à l’erreur de la salariée, laquelle est imputable à l’absence de formation adéquat à ce type d’engin.
Les juges du fond ont conclu que le manquement de l’entreprise à son obligation de sécurité était avéré dans la mesure qu’alors même qu’il était exigé de la salariée qu’elle utilise régulièrement des transpalettes afin de procéder aux opérations de chargement et déchargement contractuellement prévues, aucune formation appropriée ne lui avait été fournie.
La Cour d’appel a également explicitement énoncé que la seule demande, résultant des termes du manuel du conducteur, de vigilance à l’égard des personnels de conduite était insuffisante pour remédier aux risques des opérations réalisées par la salariée.
3/ La position de la FNTR
L’arrêt est extrêmement intéressant, à plusieurs titres.
En premier lieu, en matière de formation : les entreprises doivent toujours corréler la formation dispensée à leurs salariés avec la réalité des tâches qui sont exigés d’eux. Même en l’absence de formation obligatoire, en l’espèce, liée au CACES, à partir du moment où un salarié est concrètement et de manière régulière exposé à un risque particulier, ce qui était le cas en l’espèce, il appartenait à l’entreprise de procéder à l’analyse du risque et de prendre les mesures nécessaires pour le limiter.
L’existence d’une formation appropriée au profit de la salariée aurait donc pu limiter le risque.
L’entreprise ne peut donc pas se retrancher, de manière automatique, derrière l’absence de caractère obligatoire d’une formation s’exonérer de sa responsabilité. Les entreprises sont donc invitées à la plus grande diligence sur ce point et à examiner les formations, non pas uniquement sous l’angle des formations obligatoires, mais aussi des formations nécessaires à l’exercice concret des tâches confiées à un salarié.
Ensuite, force est de constater qu’aucun protocole de sécurité n’a été versé aux débats. Ce point est évidemment extrêmement préoccupant et pose la double question de l’existence, d’une part, des protocoles de sécurité et, d’autre part, de leur efficacité. Des travaux sont menés visant à la recherche de formes plus adaptées, plus opérationnelles, au profit de l’ensemble des parties aux opérations de transports au sens large.
Enfin, l’arrêt soulève à nouveau la question des opérations de chargement-déchargement et le respect des règles applicables par certains clients. La récurrence de la problématique justifie les actions menées pour contraindre, par la voie normative, à une régulation des pratiques en la matière.
Seule cette contrainte permettra d’éviter un certain nombre d’accidents et de responsabiliser davantage un certain nombre de donneurs d’ordres.
A cet égard, les termes du 8e paragraphe du manuel du conducteur tels que mentionnés par l’arrêt sont édifiants, et ne peuvent être admis comme tels. En effet, il est expressément indiqué qu’un certain nombre d’opérations de chargement/déchargement s’effectuent dans des conditions de sécurité précaires et que cela engendre de nombreux accidents. Ce type de formulation dans un document remis aux salariés est pour le moins difficilement concevable, car si la référence à l’accidentologie n’est en soi pas fautive, qu’un document constate ouvertement que des opérations de salariés s’effectuent, fusse ponctuellement, dans des conditions de sécurité précaires (dont potentiellement illicites) est immédiatement juridiquement sanctionnable. C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel a explicitement cité ce paragraphe.
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