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Précisions de la Cour de cassation concernant l’articulation entre les primes et le contrat de travail
Dans un arrêt du 22 mai 2024, la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle de l’articulation entre les primes versées par des entreprises aux salariés et le contrat de travail. La notion de contractualisation semble prendre de l’importance au détriment de celle d’usage.
1/ Rappel du cadre juridique applicable
La loi ne réglemente pas particulièrement les relations entre des primes versées aux salariés et le contrat individuel de travail.
Il est certain qu’il est fait application du principe général selon lequel le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun et peut être établi selon les formes que les parties décident d'adopter.
La question de la contractualisation de primes se pose de manière récurrente (la problématique n’est évidemment pas propre au transport routier). Cette thématique est fondamentale car :
- si une prime qui n’est pas incluse dans le contrat de travail d’un salarié est considérée par un juge comme ayant été contractualisée, cela signifie qu’elle ne peut plus être modifiée, de quelque manière que ce soit, par l’employeur, sans l’accord du salarié ;
- dans le cas contraire, il peut s’agir d’un usage, d’un engagement unilatéral de l’employeur, voire d’une disposition conventionnelle : dans le respect d’une certaine procédure, la prime peut être remise en cause ou modifiée par l’employeur sans que le salarié concerné (ou les salariés concernés) ne puisse contester cet état de fait.
2/ Les circonstances du litige
En l’espèce, un salarié a demandé en justice le paiement d'un rappel de prime dite «exceptionnelle».
Cette prime, qui n’était pas prévue par le contrat de travail, avait été versée chaque mois pendant toute la durée d'exécution du contrat. Son montant avait varié entre 900 et 1 000 € de 2012 à février 2016, puis avait diminué à partir de mars 2016 pour atteindre 56,52 € en 2018.
Le salarié a contesté cette variation, en considérant que la durée de paiement de la prime ainsi que la fixité de son montant initial caractérisaient une contractualisation, même en l’absence de mention écrite au contrat de travail.
La Cour d’appel a donné gain de cause à l’employeur. Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.
Les juges du fond ont considéré qu’il fallait analyser la situation en tentant de déterminer si le versement de la prime était un usage : or, la Cour d’appel a rejeté la demande du salarié, estimant qu’il ne justifiait pas du caractère général, fixe et constant de la prime (donc des trois critères constitutifs d’un usage).
3/ La solution de la Cour de cassation
La Haute Juridiction, dans un arrêt du 22 mai 2024, a annulé l’arrêt d’appel et a renvoyé l’affaire devant une autre juridiction d’appel.
La Cour de cassation a estimé qu’il ne fallait pas raisonner en termes d’usage mais en termes de contractualisation. Autrement dit, les juges d’appel auraient dû se demander si le paiement d’une prime d’un montant à peu près identique pendant 4 ans n’impliquait pas nécessairement l’existence d’une contractualisation (même en l’absence d’une clause contractuelle écrite).
4/ La position de la FNTR
La position de la Cour de cassation semble surprenante et génératrice d’une insécurité juridique sur le sort de primes versées à des salariés depuis plusieurs années sans qu’il n’y ait toujours de support clairement identifié.
Dans un arrêt du 13 décembre 2023, la Cour de cassation avait déjà admis qu’il puisse y avoir contractualisation sans écrit. Dans cette affaire, les juges avaient considéré qu’un employeur ayant versé une prime pendant plus de 7 ans de façon continue à un salarié qui n’aurait en principe pas dû en bénéficier n’avait pas le droit d’en cesser le versement en invoquant une erreur : dans de telles circonstances, il y a en effet contractualisation de la prime.
Cette jurisprudence a semblé remettre en cause une position très ancienne de la Cour de cassation selon laquelle une erreur de l’entreprise ne peut être constitutive ni d’un droit acquis, ni d’un usage.
Avec l’arrêt du 22 mai 2024, il semble désormais acquis que lorsqu’une prime est versée plusieurs années consécutivement au salarié, elle ne puisse plus être remise en question et qu’il puisse y avoir contractualisation même en l’absence de clause contractuelle.
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