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Validité de la preuve déloyale obtenue par un salarié dans un contentieux de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

11 juin 2024 Juridique et Social
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Depuis les arrêts rendus par la Cour de cassation le 8 mars 2023 et le 22 décembre 2023, des modes de preuves obtenues de manière illicite, soit par un employeur, soit par un salarié, peuvent être admises lors de contentieux. Illustration avec un salarié lors d’un arrêt de principe de la Cour de cassation du 6 juin 2024.

1/ Rappel du contexte

Depuis 2023, et plusieurs arrêts de la Cour de cassation rendus en mars et décembre, et sous l’influence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, les juges ont radicalement modifié leur position sur la recevabilité en justice de modes de preuves obtenus de manière illicite ou déloyale.

 

Ces modes de preuve étaient autrefois totalement écartés des débats. Désormais, sous conditions, ils peuvent être admis.

 

Le droit à la preuve peut ainsi justifier la production d'éléments portant atteinte à ces autres droits à la double condition :

  • que cette production soit indispensable à son exercice, à savoir, la preuve apportée doit être la seule possible pour établir la vérité ;
  • et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

IMPORTANT : c’est à la partie qui se prévaut de la recevabilité d’une preuve illicite ou déloyale, de l’invoquer devant les juges du fond (ex. : l’employeur qui entend ainsi prouver la faute du salarié pour justifier son licenciement). A défaut de demande, le moyen de preuve ne sera pas examiné par les juges.

 

A NOTER : si la nouvelle règle de recevabilité d’une preuve déloyale, sous certaines conditions, vaut pour l’employeur, elle vaut aussi pour le salarié qui peut être conduit à prouver certains agissements par ce type de procédé.

2/ Les circonstances du litige et la procédure

Dans cette affaire, un salarié a déclaré avoir été victime, le 18 mars 2016, d’un accident du travail à la suite de violences verbales et physiques commises par le gérant de la société.

 

En dépit de réserves émises par la société, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) a accepté de le prendre en charge au titre de la législation professionnelle.

 

Contestant le fait que les violences se soient déroulées aux temps et lieux de travail, la société a saisi la justice pour que la décision de la CPAM soit déclarée inopposable.

 

Le salarié a produit comme preuve de l’existence de l’accident du travail et de la faute inexcusable de son employeur la retranscription, par un huissier de justice, d’un enregistrement sonore de l’altercation réalisé à l’insu du gérant à l’aide de son téléphone portable.

 

S’appuyant sur cet enregistrement, la Cour d’appel a donné gain de cause au salarié.

 

L’entreprise a formé un pourvoi en cassation. Mais la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en faisant application de sa nouvelle jurisprudence.

3/ La solution de la Cour de cassation

En l’espèce, la Cour d’appel a relevé les faits suivants :

  • pour établir avoir été molesté par le gérant, le salarié a produit un procès-verbal de dépôt de plainte, deux certificats médicaux et un procès-verbal d'huissier de justice du 30 mars 2016 retranscrivant un enregistrement effectué sur son téléphone portable lors des faits, à l’insu du gérant ;
  • l'altercation enregistrée est intervenue au sein de la société dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous, et notamment des trois salariés et du client de l'entreprise susmentionnés ;
  • la victime s'est bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu'elle indique avoir subi et n'a fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l'employeur quant à l'existence de l'altercation verbale et physique.

La Haute Juridiction a donc estimé que les juges du fond , avaient bien respecté la méthodologie d’analyse applicable au droit de la preuve : autrement dit, la Cour d’appel avait bien recherché si l'utilisation de l'enregistrement de propos, réalisé à l'insu de leur auteur, portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du dirigeant de la société employeur et le droit à la preuve de la victime.

 

Dès lors, pour la Cour de cassation, la cour d’appel avait donc pu valablement en déduire :

  • d’une part, que la production de cette preuve était indispensable à l'exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l'accident résultant de cette altercation, que la faute inexcusable de son employeur à l'origine de celle-ci ;
  • et, d’autre part, que l'atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d'établir la réalité des violences subies par le salarié et contestées par l'employeur.

4/ La position de la FNTR

Cette jurisprudence nouvelle, déjà appliquée à plusieurs reprises, conduit à constater que c’est en pratique le plus souvent le salarié qui use de procédés illicites ou déloyaux, et non l’employeur.

 

Les entreprises doivent donc se montrer prudentes et vigilantes en la matière.

 

L’arrêt du 6 juin 2024 est appelé à figurer dans le rapport annuel de la Cour de cassation, ce qui témoigne de son importance. Il traite en outre d’un sujet forcément sensible : l’accidentologie et la reconnaissance de la faute inexcusable.

 

La FNTR est réservée face à une jurisprudence qui tend, globalement, à favoriser les situations de défiance entre les employeurs et les salariés alors même que les curseurs selon lesquels telle ou telle preuve obtenue de manière illicite ou déloyale dépendront exclusivement d’une appréciation des juges, ce qui est de nature à générer un aléa juridique qui n’existait pas précédemment.

 

Enfin, l’on ignore si les juges traiteront les comportements d’employeurs et de salariés en matière de recherche de la preuve de manière égalitaire ou s’il n’y aura pas une appréciation plus souple en faveur du salarié en matière de recours à des procédés de preuve illicites ou déloyaux.

5/ Lien utile




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