News
La notion d’obligations familiales impérieuses prévaut sur les dispositions d’un accord ou d’une convention collective
Dans un arrêt, promis à une large publicité, du 29 mai 2024, la Cour de cassation réaffirme l’importance qu’elle attache à la notion d’obligations familiales impérieuses dans les relations de travail, même en cas de modifications des horaires prévues conventionnellement.
1/ Rappel du cadre juridique applicable
L’employeur est libre d’organiser les horaires de travail des salariés et d’en changer la répartition, celle-ci relevant de son pouvoir de direction.
Il ne peut toutefois imposer unilatéralement de changement d’horaires au salarié :
- si celui-ci porte une atteinte excessive au respect de la vie personnelle et familiale du salarié ;
- si le changement porte sur un élément de l’horaire de travail que les parties ont considéré comme déterminant lors de la conclusion du contrat de travail ;
- si ce changement engendre un bouleversement complet des horaires pratiqués antérieurement par le salarié (passage à un horaire de nuit….).
Les juges restreignent les prérogatives de l’employeur dans un certain nombre de situations spécifiques.
Pour les juges (arrêt Cour de Cassation, 16 mars 2022, pourvoi n°21-10147, le passage d'un horaire continu à un horaire discontinu entraîne une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser.
Il en est de même du passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit, selon une jurisprudence constante.
On peut également relever que les juges estiment que de nouveaux horaires de travail privant une salariée de repos le dimanche et entraînant le passage d'un horaire fixe à un horaire variable par cycle constituent une modification du contrat de travail (arrêt Cour de Cassation, 5 juillet 2023, pourvoi n°22-12994).
2/ Les circonstances du litige
En l’espèce, l’employeur a informé l’un de ses salariés, ayant des horaires de nuit, de son affectation sur un poste de jour, ce que ce dernier a refusé à 3 reprises, en faisant état de contraintes personnelles et familiales. Suivant ce refus réitéré, l’employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave.
Ce dernier a contesté cette mesure de licenciement devant le Conseil de prud’hommes.
Les juges du fond ont considéré que le licenciement pour faute grave notifié au salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, eu égard aux contraintes familiales et personnelles exposées par le salarié pour refuser ce poste.
L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation en se prévalant des dispositions de la convention collective applicable (il s’agissait de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité), qui indiquait que « les salariés de cette branche assurent un service indistinctement soit de jour, soit de nuit, soit alternativement de nuit ou de jour ; qu’il s’agit là d’une modalité normale de l’exercice de leurs fonctions, et, d’autre part, que les contraintes personnelles du salarié ne sont pas positivement opposables à l’employeur ».
L’employeur a donc estimé que son salarié ne pouvait se fonder sur ses impératifs personnels et familiaux pour refuser son affectation sur un poste de travail aux horaires différents de celui initialement occupé.
3/ La solution de la Cour de cassation
Dans son arrêt rendu le 29 mai 2024, la Cour de cassation a jugé que le refus du salarié d’une modification de la répartition de ses horaires de travail en raison de contraintes familiales n’était pas fautif, de sorte que le licenciement pour faute grave notifié suite audit refus était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Les juges ont relevé que le salarié avait un enfant handicapé pour lequel « la MDPH avait reconnu la prise en charge par les parents d’au moins 20 % des activités de l’enfant par une adaptation des horaires de travail. »
La Cour de cassation a souligné que « le passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour portait une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale et était incompatible avec les obligations familiales impérieuses », de sorte que le refus du salarié de son affection sur un tel poste n’était pas fautif. Dès lors, le licenciement du salarié était injustifié.
Les Hauts magistrats ont également approuvé les juges du fond d’avoir observé, dans leur raisonnement, que l’employeur ne justifiait pas de l’absence de poste de nuit sur lequel le salarié aurait pu être affecté.
4/ L’analyse de la FNTR
La solution retenue n’est guère surprenante au regard de la jurisprudence classique de la Cour de cassation concernant à la fois le changement d’horaires de travail et la notion d’obligations familiales impérieuses.
Cependant, la Haute Juridiction n’avait pas encore eu l’occasion, de manière aussi directe, de faire application de la notion d’obligation familiales impérieuses alors qu’une convention collective de branche comportait des dispositions consacrant le principe même du bien-fondé d’une organisation atypique du travail au regard des nécessités du service.
La Haute Juridiction ne remet pas en question la validité même des dispositions conventionnelles : mais elle indique finalement qu’en fonction des circonstances d’espèce relatives à des contraintes familiales impérieuses pesant sur un salarié, ces dispositions peuvent ne pas être opposables à ce dernier.
En conséquence, toute sanction qui s’ensuivrait serait remise en cause.
En l’espèce, les juges ont relevé la situation particulière du salarié, qui avait à charge un enfant en situation de handicap impliquant une adaptation des horaires de travail.
A partir de cette considération, les magistrats ont considéré que l’atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié résultant du passage à un travail de jour était disproportionnée au but recherché.
Il est en revanche difficile de savoir ce qui serait advenu sur l’entreprise avait justifié de l’existence d’un poste de travail de nuit. Sans doute aurait-il été nécessaire d’examiner la compatibilité entre le poste en question et les contraintes familiales du salarié afin de savoir si une alternative sérieuse avait été proposée au salarié et si ce dernier avait commis un abus de droit dans l’exercice d’un refus.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.