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Conséquences de l’indisponibilité des médecins inspecteurs du travail en cas de contestation d’une inaptitude d’un salarié

31 mai 2024 Juridique et Social
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Dans un arrêt de principe du 22 mai 2024, la Cour de cassation a, pour la première fois, statué sur les conséquences d’une indisponibilité des médecins inspecteurs du travail en cas de contestation d’une inaptitude d’un salarié.

 

1/ Rappel du cadre juridique applicable

La loi pose le principe selon lequel, lorsque le médecin du travail rend un avis d'inaptitude, l'employeur ou le salarié peut contester cet avis, ainsi que les propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail.

 

Pour ce faire, il convient de saisir le Conseil de prud'hommes dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'avis du médecin du travail.

 

Le Conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

2/ Les circonstances du litige

En l’espèce, un salarié d’une agence bancaire en arrêt de travail plus d’un an et demi à la suite d’un accident domestique a été déclaré inapte à son poste le 1er juillet 2000, dans le cadre de la visite de reprise. Le médecin du travail a dispensé l’employeur de toute tentative de reclassement.

 

L’employeur a, par la suite, licencié le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

 

Le salarié a saisi les prud’hommes le 9 juillet 2000 pour contester l’avis du médecin du travail.

 

Par une décision du 29 septembre, le conseil de prud’hommes a confié à un médecin-inspecteur régional du travail une mesure d'instruction.

 

Mais il s’est avéré que ce médecin n’exerçait plus. La juridiction prud’homale a en conséquence recherché un autre médecin inspecteur du travail (conformément aux prescriptions du Code du travail).

 

Mais aucun des médecins inspecteurs du travail sollicité n’a voulu prendre en charge la mesure d’instruction.

 

Le Conseil de prud’hommes a donc confié cette mesure d’instruction à un médecin sélectionné sur la liste des experts de la Cour d’appel.

 

L’expert a rendu son rapport le 26 octobre 2021, considérant que le salarié était apte à son poste, sous réserve de la réalisation d’un certain nombre de réserves et d’aménagements (notamment une reprise à temps partiel et en télétravail, sans port de charges lourdes).

 

L’employeur a alors contesté la régularité de cette expertise et demandé son annulation. La juridiction prud’homale n’ayant pas accueilli sa demande, il s’est pourvu en cassation.

 

L’argument de l’employeur reposait sur l’application de l’article R4624-45-2du Code du travail : la mesure d’instruction consécutive à la contestation d’un avis d’inaptitude est confiée au médecin inspecteur du travail territorialement compétent ou, en cas d’indisponibilité ou de récusation, à un autre médecin inspecteur du travail. Or tel n’avait pas été le cas en l’espèce.

3/ La solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur et approuvé la position de la juridiction prud’homale.

 

Elle s’est fondée sur l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. »

 

La Cour de cassation a en conclu qu’à « l'occasion d'une mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article L4624-7 du code du travail, le juge qui constate qu'aucun médecin inspecteur du travail n'est disponible pour réaliser la mesure d'instruction peut désigner un autre médecin pour permettre son exécution ».

 

Le Conseil de prud’hommes devait pouvoir se prononcer sur la contestation de l’avis d’inaptitude dans un délai raisonnable, de sorte que s’il s’avérait impossible d’obtenir le concours d’un médecin inspecteur du travail rapidement, il pouvait valablement solliciter un autre médecin.

 

Dans le cas présent, il était établi que le conseil de prud’hommes s'était heurté au refus de tous les médecins inspecteurs du travail recherché.

La Haute Juridiction a donc estimé que les juges du fond avaient étaient fondés à considérer qu'un autre médecin pouvait être désigné.

4/ La position de la FNTR

Si la solution peut sembler pragmatique, elle pose plusieurs questions :

  • en premier lieu, celle d’écarter une règle de droit au détriment de l’entreprise. On peut légitimement s’interroger sur le fait de savoir si, dans une situation inverse, la règle de droit aurait été fait l’objet d’une «interprétation libre» en faveur de l’entreprise ;
  • ensuite, sur la comparaison des compétences entre le premier médecin du travail et le second médecin, sans compétence spécifique en ce qui concerne la relation de travail ;
  • enfin, sur le droit au refus des médecins inspecteurs du travail sollicités. Pourquoi un tel droit au refus est-il consacré et les différents refus étaient-ils motivés ?

L’arrêt de la Cour de cassation ne précise pas ce point (qui n’était par définition pas en débat). Quoi qu’il en soit, il serait possible de retourner l’utilisation de l’article 6 de la CEDH en considérant que c’est l’employeur qui n’a pu prétendre à un procès équitable dans la mesure où la loi s’est trouvée écornée, que les impossibilités liées à l’absence de traitement du dossier ne résultaient pas d’un manque de médecin inspecteur mais de refus de leur part.

 

La solution dégagée intéresse également au regard de ce qui se serait passé en cas d’absence de médecin inspecteur, donc de pénurie. Il existe aujourd’hui une pénurie globale de médecins, qu’il s’agisse de médecins traitant, médecins du travail ou médecins agréés par les préfectures pour ce qui concerne la validation de l’aptitude à la conduite.

 

La FNTR et la FNTV ont d’ailleurs, dans un courrier commun du 21 juillet 2023, alerté les pouvoirs publics sur ce sujet. Ce courrier a fait l’objet d’une réponse du Ministère du Travail du 03 août 2023 qui a énoncé :

  • que le Ministère du Travail a demandé au Directeur Général du Travail un examen de la requête formulée ;
  • que les organisations professionnelles seraient tenues informées des suites données.

A ce jour, aucune nouvelle information n’a émané du Ministère du Travail.




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